Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Parlabah
9 février 2011

Mister Nô

          Et Mister Nô me dit une nouvelle fois: « Fais pas ci, fais pas ça »… Et à un autre coin de rue « Viens ici, mets toi là »…

          Je n’ai pas d’amis ici. Ni simples connaissances d’ailleurs. Peut-être est-ce de ma faute? Ou peut être que les gens d’ici sont avares en relations? L’échange avec la population locale semble compliquée. Rarement, certains brisent la glace et vous surprennent de paroles ou de gestes. Un pour aider dans le métro, un autre pour montrer son gros poisson… puis s’en vont. Non, je n’ai décidément pas d’amis, même pas un soupçon de compagnon. Alors mon imaginaire affectif, au détour d’une rue, m’a très vite présenté un gars très bien, quoiqu’un peu négatif et directif à la longue. Mister Nô. Sichuan Fu Li de son prénom. Sichuan Fu Li Nô est mon pote imaginaire de Hong Kong…

          Un soir, alors que l’on prend notre dernier café au Seven Eleven du coin. Mister Nô se rapplique, le visage dégoulinant de stress. « Salut Nô, ça va? ». Il regarde vite sa montre. « Pffff, tu rigoles… Je suis débordé là! ». Sa tête, ronde, blanche, aux contours rouges, est barrée d’un gros trait noir. Clope à la place du nez. « Y’a des fumeurs partout aujourd’hui, l’enfer! ». De grosses gouttes coulent de son front en plastique. « Et en plus ils jettent tous leurs mégots par terre ». Un groupe de trois fumeurs arrivent par la droite. Il se fige instantanément. Rien ne se passe. « Tu vois, je n’ai aucuns pouvoirs ». D’énervement, il fait tomber son badge sur lequel est inscrit amande minimum 1500 dollars. « Tu veux une clope mon vieux Nô! ». « T’es con …». Et il se casse, furax…

          Après-midi. Dans un parc. Peinard. Allongé sur un banc. 15 minutes de repos bien mérité. Mister Nô se ramène. Sa tête, rectangulaire, grise, aux contours rouges, est barrée d’un gros trait noir. Un gonze allongé sur un banc à la place du nez. « Mais qu’est-ce que tu fais ta diva ici? », me lance t’il, l’air pas mal énervé. « Bonjour quand même! ». Il se fige et me fixe. « Ça va pas Nô aujourd’hui? ». Il me fusille d’un regard perpendiculaire et me postillonne: « Tu m’as bien regardé là! ». Alors, las de subir sa mauvaise humeur , je me lève… « Je peux me coucher par terre? ». « T’es con… ». Et il se casse, furax…

          Il fait bon et chaud en cette fin de journée. Sur la plage. Jets de sable pour une petite rigolade de bagarre amoureuse. Et voilà que mon pote imaginaire Nô se raboule à nouveau. Slip de bain jaune bien serré, et bien taille haute. Style la dégaine nombril caché et combo sandales - chaussettes blanches remontées. Sa tête, triangulaire, blanche, aux contours rouges, est barrée d’un gros trait noir. Main jetant sable et cailloux à la place du nez. A ce niveau de l’histoire, vous devez vous demander, bien justement: « Mais quel super pouvoir possède ce mystérieux Mister Nô pour se transformer ainsi!?! ». Et oui, mon pote imaginaire Sichuan Fu Li Nô est hyper balaise. Plusieurs visages. Un peu transformiste sur les bords. Il apparaît souvent avec une tronche différente. Mais, à l’intérieur, toujours une même ligne de conduite. Droit et stricte. « Salut Kak! ». « Salut Nô. Tu vas bien!?». « Boh, je déteste les dimanches… et en plus il fait beau! ». Il s’assoit lourdement sur le sable. « On dirait que tout le monde a décidé de guincher à la plage aujourd’hui ». Il se prends la tête à deux mains. « J’ai déjà averti une quinzaine de gamins qui jouaient au ballon, une centaine qui jetaient du sable et des cailloux, dont vous deux (!), un qui jouait avec sa voiture téléguidée, 6 qui se lançaient un frisbee, 3 qui pêchaient, 13 qui ont voulu plonger… ». Et il conclut d’un air désespéré: « Y’a même une famille qui essayait de faire décoller son cerf-volant!!! ». Il respire vite. Son ventre se gonfle et se dégonfle dans un va et vient endiablé. Et grâce à un étrange effet ventouse Mm+Va=Tn (combinaison complexe du maillot mouillé et de l’accélération « ventresque » respiratoire), petit nombril commence à se dessiner. Un creux en haut du « moulquette ». « Mais Nô, il faut bien qu’ils se divertissent un peu tous ces gens… Le soleil, la mer… La plage est quand même un espace de loisir et il faut… ». Il me coupe: « Ah, non, non, non et NON! Je me dois d’interdire ». Peine perdue. Je lui balance un peu de sable sur son corps d’acier. « T’es con! ». Et il se casse, furax.

          Bien sur, Mister Nô est le fruit de mon imagination. Et je lui parle de temps en temps pour m’échapper d’une certaine absurdité qui semble s’abattre sur la ville. Si Nô est fictif, les panneaux et autres pancartes d’interdiction sont quand à elles bien réelles. Partout, l’espace public est constellé d’une myriade d’affichages interdisant le à peu prés tout! Contrôle des libertés individuelles. Un peu. Contrôle de l’individu plutôt. Dans ses mœurs, ses mouvements, ses loisirs…

          Dehors, derrière la porte, le slalom géant est à la mode. L’esquive comme arme fatale pour pouvoir circuler. Avant chaque sorties, bien s’échauffer. Travailler feintes de corps, mouvements éclairs sur la droite, sur la gauche, devant le miroir. En guise d’exercice, demander à votre binôme de jouer le piéton chinois. Fonce. Fonce. Tête en avant. Dans les artères de Hong Kong, et dans ses sous sols, il faut jouer des coudes.

          Peut-être, indications et interdictions sont ici nécessaires. J’ai déjà parlé des flèches et des lignes disséminées un peu partout dans la ville. Je comprends mieux maintenant l’utilité de ce réseau signalétique. C’est certainement un maillage obligé, tellement l’incivilité règne dans la cité. Jamais on ne vous laissera passer. Toujours il faudra forcer le passage. La pagaille a ainsi besoin d’être aiguillée. Des signaux pour éduquer une population en manque de courtoisie. La perception divague. Autrui en œillères. Un savoir vivre qui se fait la malle. Ou alors c’est ma perception d’occidental qui me joue des tours…

     Et je ne comprends pas pourquoi on retrouve ce phénomène accentué ici. La « bousculade », ou un certain manque de civisme, est un facteur commun dans toutes les grandes métropoles mondiales. Individualisme. Foule sans âme. Regards vagues. Pourquoi ce sentiment est-il exacerbé à Hong Kong? La modernité est-elle bien assimilée par la population locale? Le modèle recherché est-il bien compatible avec la culture chinoise (même si Hong Kong n’est pas vraiment la Chine)? L’urbain progresse t-il trop vite? Beaucoup de questions. Mais il me semble que beaucoup de panneaux d’interdiction vont à l’encontre des mœurs en vigueur. Interdiction de cracher (même dans la poubelle!), d’étaler sa marchandise, d’étendre son linge, de colporter ses biens… Ne pas oublier ses racines. Entrer trop vite dans un nouveau modèle annihile les habitudes ancestrales. L’urbanité aspire les valeurs du peuple. A vouloir faire une ville trop propre, on l’aseptise. Et on se la prend en pleine gueule…

     Les buildings nous bouffent. Herbivores mais aussi carnivores. J’ai acheté une bande dessinée (qui déchire!), dans laquelle les gratte-ciels sont personnalisés, façon robot géant à la sauce Bioman. Et c’est exactement ça! Les Power Rangers explosent notre quotidien d’humanité, « laserisent » notre conscience d’être humain et pensant. Et à notre tour nous devenons robots. Astro le petit piéton se fait dévorer tout cru.

          Un manque d’émotions hypnotise les habitants. A croire qu’un régime despotique du sentiment aurait lâché une bombe à gaz rabat-joie! La population se ferme dans une crise aigue de non expression. Formatés. Une masse uniformément monotone, avec ses yeux de navet. Le sourire en met de luxe, extra rare. Y’a-t-il un lien de cause à effet avec tous les panneaux d’interdiction? Ou est-ce une marque profonde de pudeur et de timidité? Je trouve quand même ça dingue qu‘à la plage (j‘y reviens encore), par exemple, lieu de loisir par excellence, on interdise de jouer au ballon, au cerf volant, aux raquettes, au frisbee… Même si la plage n’a pas l’étendue d’un désert d’Atacama, il y a quand même de la place pour se divertir! Laissez les donc s’amuser! Détachez les de leurs chaînes d‘ivresse…

          En ce qui nous concerne, ces panneaux, à part nous choquer et nous faire rire, n’ont pas eu de conséquences sur nos pérégrinations. Ah si, une fois, pour une cigarette fumée sur une place non fumeur! Une « agentette » de sécurité s’est doucement rapprochée de nous, puis s’est assise sur le banc d’à côté, et s’est gentiment résignée à faire un timide non de la main, l’air tout gêné. Alors qu’en Inde par exemple, où les panneaux sont beaucoup moins présent, c’est comme un sport national de venir vous dire « no smoking herrrre »

          Des panneaux d’interdiction protecteurs d’une ville sainte. Temple de la religieuse économie. Église de la consommation. Pancartes, adoubant une ville Reine. Une population placardée au second plan. Ville moderne qui étouffe ses habitants. Interdire serait une manœuvre pour élever la ville sur une sorte de piédestal. Un espace comme un musée. Un paradoxe alors que l’agglomération se construit sur son âme d’antan. N’y touchez pas et suivez cette route bien balisée. Oubliez vos valeurs. Étranglez vos sentiments. Certains avaient peur du ciel; à Hong Kong, c’est la ville qui vous tombe sur la tête…Etre une machine dans un dédale de rues et de construction démesurées. L’homme a-t-il sa place ici?

          En me couchant, j’aperçois Mister Nô à travers le rideau. Accroupi sur un rocher, au sommet du Victoria Peak, il surveille les lumières de la ville…

 

Kak. Hong Kong.

 

Ps: A venir, un petit texte sur l’obtention du visa chinois, et un autre sur la ville de Hong Kong… et on attendra la Chine pour la visite des supermarchés…

IMG_1677IMG_1274IMG_2182IMG_1983IMG_1041

                IMG_1861IMG_2027

IMG_2137IMG_2032IMG_2141IMG_2100IMG_2017

Publicité
Publicité
Commentaires
P
imagination délirante, est-ce que vous ramenez mister dans vos sacs ?<br /> excellentes descriptions
Parlabah
Publicité
Archives
Publicité